Portrait :
Jacques Creyssel,
curiosité passionnée

Jacques Creyssel, président du CTIP, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 8 juillet 2025.

Portrait : Jacques Creyssel, curiosité passionnée
Portrait : Jacques Creyssel, curiosité passionnée

Jacques Creyssel, président du CTIP, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 8 juillet 2025.

Le rendez-vous à lieu dans les locaux du CTIP. Une petite salle de réunion est mise à notre disposition. Jacques Creyssel sort d’un conseil d’administration et s’installe, souriant, vif et disponible pour brosser un portrait riche en détails.

Jacques Creyssel est né le 20 août 1956 à Lyon (69), « mais j’ai toujours vécu à Paris jusqu’à ce que je m’installe à Bordeaux récemment », précise-t-il d’emblée.
L’origine lyonnaise est familiale. « Mes grands-parents des deux côtés habitaient à Lyon, après des carrières très variées. Mon grand-père paternel était un chirurgien renommé, qui a notamment introduit la prothèse de hanche en France. L’autre grand-père était chef d’entreprise, il avait fait sa carrière en Argentine. C’était une époque où l’on pouvait partir à 20 ans et monter sa société à l’autre bout du monde, et l’Argentine avait alors un PIB par tête supérieur à aujourd’hui Ma mère est née là-bas et a vécu en Argentine jusqu’à ses 18 ans », explique-t-il.
Le – entre autres – président du CTIP se décrit comme un « bon élève sans être passionné par le secondaire. C’est dans l’enseignement supérieur que j’ai commencé à vraiment m’épanouir. » Or, nous le comprenons vite, sans passion, Jacques Creyssel s’ennuie.
Il fait l’essentiel de ses études à Stanislas, célèbre établissement parisien, réputé pour son cadre strict déjà à l’époque… Et pourtant, « jusqu’aux études supérieures, j’étais un élève dissipé », confie Jacques Creyssel.« Très dissipé même, jusqu’à faire l’école buissonnière assez régulièrement ». « J’ai été sauvé par un père directeur de cabinet du ministre de l’Éducation Nationale qui me permettait d’avoir, je dois le dire, une indulgence assez forte de la part des établissements où j’étais », avoue-t-il en riant franchement.
Il quitte Stanislas deux ans, non pas vraiment pour ces cours ratés, mais « parce qu’ils trouvaient que pour les élèves en avance, il leur fallait non seulement 10 de moyenne mais 12 ! » Jacques Creyssel y revient après un passage à Boulogne, et obtient son bac à 16 ans. « J’avais l’avantage d’avoir quelqu’un qui s’occupait un peu de mes transferts », conclut-il avec un grand sourire avant d’ajouter en riant : « mon père était, en plus, en charge du financement des établissements privés, donc c’était assez simple ».

Tel père

Car dès son plus jeune âge, Jacques Creyssel est en contact fréquent avec le monde politique. « Mon père était conseiller d’État, directeur de cabinet de ministres connus de la Cinquième République – Olivier Guichard, Jean-Marcel Jeanneney, Louis Joxe… dans différents ministères. Quand j’étais môme, je l’accompagnais au Club Jean Moulin, aux clubs des gaullistes de l’époque. J’ai vécu dans ce monde là », explique-t-il.
De façon « assez naturelle » et après avoir obtenu un bac B (économie), il se dirige vers Sciences Po et y trouve enfin un intérêt intellectuel.
« Je n’ai pas beaucoup aimé l’enseignement secondaire. J’ai eu mon bac à 16 ans, donc ce n’était pas problématique non plus. C’est à partir de Sciences Po, avec des matières comme l’histoire, les institutions politiques, le droit, l’économie, que j’ai trouvé ça formidable. C’est à partir de ce moment-là que j’ai beaucoup aimé les études. »
Il existe une vraie continuité familiale. Jacques Creyssel s’amuse que dans sa famille, « c’était soit énarque, soit médecin ».
À l’écouter, le choix s’est fait assez jeune : « J’ai dû vouloir être chirurgien jusqu’à ce que je fasse une mini-autopsie d’un petit oiseau en sciences naturelles. La vue du sang m’a guéri de ce genre de choses », s’amuse-t-il. Adolescent, il n’a « pas d’envie très forte » de faire un métier et se dit « rapidement que ce que faisait mon père était intéressant et que je ferais bien la même chose ».
Avec ses yeux d’adulte, Jacques Creyssel tente de retrouver ce qui attirait l’enfant dans le métier de son père. « C’est compliqué de le savoir a posteriori, je ne vais pas vous dire que c’était le sens de l’intérêt général, ce serait un peu excessif », commence-t-il, « mais je voyais des choses qu’il faisait des choses assez passionnantes. Il était directeur de cabinet du garde des sceaux et premier ministre par intérim en mai 68, je le voyais revenir au petit matin après avoir passé la nuit au bureau, changé sa plaque d’immatriculation tous les jours pour que sa voiture ne soit par repérée, nous exfiltrer dans le midi avec ma mère et ma sœur de peur qu’on soit agressés… C’est une vie assez incroyable ! » Jacques Creyssel énumère ce passé palpitant en changeant de rythme, pris dans ses souvenirs. Ce sentiment de vivre à côté d’un homme qui fait l’Histoire, « il a rédigé le texte du référendum de 1969 », se mêle avec une proximité d’un monde intellectuel de très haut niveau, encore une fois quand son père prend la direction du CNRS. « Pour moi, c’est une vie pleine de gens passionnants. Quand j’étais gamin, j’avais l’habitude de répondre aux ministres au téléphone. Oui, c’était une vie plutôt agréable, qui me paraissait passionnante, sans que je sache réellement ce qu’il y avait derrière ». Logiquement, les enseignements de Sciences Po lui correspondent, donnent du concret à tout ce qu’il a connu jusqu’à présent. L’ENA lui plaira moins.

À la parade

À la sortie de l’école, il part faire son service militaire. Jacques Creyssel s’amuse encore beaucoup de ce passage même s’il reconnaît que le premier mois à Coëtquidan (35) est un peu dur, « en janvier, dans un environnement un peu plus encadré qu’avant ». Il part ensuite à Draguignan pour l’école d’officiers, où « je me suis retrouvé président des présidents de section. Comme quoi, ça colle à la peau dès le départ, on ne se refait pas », rit-il. Il écrit et déclame les discours au nom de la promotion « pour le général du coin », et profite de quelques avantages comme « le droit de prendre l’hélicoptère avec le général et de survoler les Gorges du Verdon ». Il en sort « très bien, à ma grande surprise. Ce qui prouve qu’une mémoire très entraînée permet de retenir n’importe quoi ». Il rit et poursuit : « j’étais meilleur que les mécaniciens parce que j’apprenais tout par cœur, sans rien comprendre, mais ce n’était pas grave ». L’aventure militaire semble tout aussi originale que le reste des expériences de Jacques Creyssel. Il mène, au Premier régiment d’artillerie de Marine qu’il intègre à la sortie de Draguignan, les parades et défilés. Au point de poursuivre dans les arts ? « Non, pas vraiment », répond-il dans un grand rire, « il y a sans doute des talents ignorés que j’aurais dû exploiter ».
Comme souvent depuis le début de l’entretien, Jacques Creyssel résume cette année de service comme « une expérience assez passionnante. Et à vrai dire, je préférai faire ça que de faire les manœuvres que faisait une autre partie du régiment ».
Au cours de son année à l’ENA, Jacques Creyssel part pour un « stage long » en préfecture. Il est directeur adjoint du cabinet du préfet à Tours, ce qui lui offre quelques responsabilités. Il fait un intérim au poste de secrétaire général de la préfecture. Et, sans surprise, « j’ai adoré ça », parce qu’il a la possibilité de créer des choses, d’organiser. « L’avantage de Tours, c’est que des ministres passaient tout le temps, nous avons même eu la Reine d’Angleterre. Au niveau culturel, il y avait des choses superbes. Le week-end, je prenais ma voiture et j’allais visiter les châteaux de la Loire, où je me faisais introniser dans des conditions très difficiles, à Vouvray, à Bourgueil et autre », détaille-t-il avec un grand sourire et une pointe d’ironie. Jacques Creyssel collectionne les anecdotes, se régale de cette vie en préfecture qu’il doit pourtant quitter pour retourner à l’ENA. « J’ai trouvé ça tellement formidable que le retour à l’école, pour refaire des cours, ça m’a embêté. Je suis sorti à la direction du budget, qui était un endroit qui m’intéressait. »

Vie (hyper) active

À la sortie de l’ENA, Jacques Creyssel ouvre un nouveau chapitre.
Il a la charge de la tutelle de la SNCF, d’Air France, de la RATP, d’Aéroports de Paris par exemple, et négocie les aides publiques. Surtout, « j’étais le premier à avoir eu accès à un ordinateur à l’époque. J’avais un Bull Questar, avec multiplan 1, qui m’a permis d’avoir un avantage absolument considérable par rapport à la SNCF dans les négociations. »
Jacques Creyssel rencontre l’informatique et se définit comme un « geek absolu ». Nous ouvrons cette parenthèse surprenante.
« Je suis passionné de toutes les technologies. Je suis persuadé que l’évolution des technologies a une influence considérable dans l’évolution économique », confie-t-il.
Son terrain de jeu actuel est l’intelligence artificiel. « Je lis beaucoup de choses sur ces sujets-là, je suis toujours à me demander ce qu’une technologie peut changer à un secteur », explique Jacques Creyssel. À côté de ce savoir théorique, il met en pratique. « J’utilise notamment deux agrégateurs, Gémini et Perplexity pro », à la fois pour comprendre, résumer et présenter des sujets tant sur AG2R La Mondiale, qu’il préside, que pour le CESE où il siège. « C’est absolument exceptionnel », se réjouit-il.
« Quand je suis arrivé en 1993 au CNPF (l’ancêtre du MEDEF qu’il a contribué à créer et dont il sera directeur général, ndlr), j’ai demandé un ordinateur. Le directeur informatique m’a répondu qu’en tant que directeur, je n’avais pas d’ordinateur. Je lui ai dit que si, et que bientôt, tout le monde ici en aurait un ». Petite nostalgie, le président du CTIP avoue avoir conservé son premier ordinateur personnel, un « Canon X-07 avec tout de même 8 kilos-octets de mémoire ».
Dès le début de sa carrière professionnelle, il utilise l’ordinateur pour modéliser les scénarios, notamment au cours de son passage au Budget. « Ça m’a toujours beaucoup aidé à conceptualiser les choses », conclut-il.
De conceptualisation, il est question également quand il quitte le Budget, où il est alors sous-directeur en charge de la politique salariale et de l’emploi des trois fonctions publiques, pour entrer comme directeur général chargé des affaires économiques du CNPF, le conseil national du patronat français. « Au Budget, mon métier était toute la journée de trancher et de décider. Le fait d’arriver dans ce monde du syndicat, où le métier était justement de ne pas trancher entre les adhérents, ce n’était pas facile au départ », confie-t-il. « Un de mes maîtres disait toujours, le job de patron d’une organisation professionnelle, c’est de savoir bomber le torse tout en courbant l’échine ».
Il s’y fait, mais reconnaît que le début n’a pas été facile. Il s’adapte, « apprend, découvre et c’est passionnant, parce que vous êtes sur tous les sujets. Et vous êtes à un poste où vous voyez les effets de ce que vous faites ». Du CNPF au MEDEF, puis à la direction de la Fédération du commerce de la distribution, Jacques Creyssel poursuit une carrière qui l’amène aujourd’hui à la présidence du CTIP et d’AG2R La Mondiale, à représenter le Medef au Conseil économique, social et environnemental.
Il existe un monde que Jacques Creyssel connaît très bien mais qui ne fait pas partie de son aventure professionnelle, c’est le monde politique. « Non, on m’a souvent posé cette question. En fait, je n’y pense jamais car j’ai vu mon père se faire laminer, se faire déchirer lorsqu’il a voulu passer du côté politique. Il était programmé pour être député de Lyon, et puis il se trouve que le premier Ministre Raymond Barre l’a prise et c’est la seule personne à qui il ne pouvait pas dire non. Ce fut pareil pour la mairie de Lyon… Quand il était patron du CNRS, il était très proche d’un de ses camarades de promotion qui était Jacques Chirac, et du coup, Giscard l’a viré… Je l’ai vu s’abîmer, ou se faire abîmer et ça m’a convaincu que c’était pas mal d’être à côté et de ne pas être forcément complètement à l’intérieur ».

De courtes pauses

Glissant d’une passion à l’autre, nous tentons d’en savoir plus sur Jacques Creyssel. Avec, peut-être, une passion sportive ? « J’adore le sport à condition de ne pas en faire moi-même », s’amuse-t-il. « J’adore le cyclisme, l’athlétisme, le rugby, et j’ai la chance d’avoir désormais à Bordeaux l’UBB. Quand j’étais môme, je me faisais des cahiers avec les résultats d’athlétisme… Mais la pratique, non », avoue-t-il avant de se reprendre « si, dès que je peux nager, je nage. Mais c’est tout. »
Jacques Creyssel dévoile tout de même qu’il adore voyager et qu’il se passionne pour « l’art du Moyen-Âge. Je fais la chasse aux cloîtres, c’est pour moi l’une des plus belles choses qui soit. Dans tout l’art du moyen-âge, il y a des choses somptueuses ».
Après une demi-heure d’entretien pour le portrait, nous devinons que le voyage à la façon de Jacques Creyssel n’est pas un long moment d’oisiveté. Il reprend, de lui-même, le fil de l’entretien : « J’aime voyager… mais avec quand même une portée culturelle assez forte. J’aime beaucoup le bassin méditerranéen, mon grand-père en venait, mais j’apprécie aussi le reste… Il me faut des musées, des églises… »
Il résume, en quelques mots, ce qui apparaît comme une évidence : « j’aime découvrir les choses, comme les personnes ».

Quand vient le moment de conclure, nous demandons à Jacques Creyssel quel est son week-end idéal. Et là, pour la première fois depuis le début de l’entretien, il semble pris de court. « C’est très difficile, parce que s’ils se ressemblaient tous, ce serait monotone ». Une réponse logique, compte-tenu des propos précédents. « J’aime bien, aller marcher, le long de la Garonne parce que j’habite dans une ville superbe, c’est prendre le bateau, aller en face, ou faire un tour à Arcachon manger des huîtres. C’est plutôt aujourd’hui être chez moi, regarder un bon match de rugby, lire un bon bouquin. Finalement, des week-ends assez tranquilles oui, assez classiques », répond-il en semblant presque lui-même surpris de cette pensée. Il tire le fil, toujours avec cet esprit analytique, de sa réponse. « Pendant longtemps, le week-end se finissait au plus tard le dimanche après-midi, et pendant longtemps, j’ai quand même passé mon samedi au bureau… Découvrir le week-end en tant que tel est quelque chose d’assez nouveau », s’amuse-t-il. Mais c’est toujours une découverte de plus, et, évidemment, l’occasion de nouvelles passions.

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