Réforme des retraites, quelles carottes pour les seniors ?

Contribution de Régis de LAROULLIÈRE et Jérôme CABOUAT, à propos cette fois de la réforme des retraites. Avec un focus sur le travail des seniors, au coeur des enjeux…

Le projet de porter l’âge de la retraite à 65 ans tel qu’annoncé par le Président de la République lors du premier tour de l’élection présidentielle, largement rétropédalé depuis lors, a été définitivement enterré par notre nouvelle Première ministre lors de son discours de politique générale le 6 juillet dernier. Pour autant, le sujet du travailler plus longtemps reste pleinement d’actualité.
Élisabeth BORNE a explicité les intentions de son Gouvernement : pour financer notre modèle social, il va falloir « travailler progressivement un peu plus longtemps ». Le projet n’est pas ficelé (sic !), et une concertation aura lieu avec les partenaires sociaux et le Parlement.

À en juger par le tohu-bohu sur une partie des bancs de l’Assemblée, ce n’est pas gagné. Chacun a en tête que les sondages disent que 60% des électeurs ne veulent pas d’un relèvement de l’âge de la retraite. En dernier lieu, la CFDT, syndicat réformiste, qui s’oppose à un relèvement de l’âge légal de la retraite, a, lors de son récent congrès, durci sa position en s’opposant également à un nouvel allongement de la durée de cotisation.

Néanmoins, réduire le poids des cotisations de retraite dans notre économie est un moyen essentiel de redresser nos comptes publics et sociaux et d’assurer la soutenabilité de notre modèle social, comme l’a souligné Élisabeth BORNE, et de répondre aux demandes de Bruxelles de réduire notre déficit global : nous sommes le seul pays dans lequel les retraités gagnent en moyenne plus que les actifs, nous passons près de 5 années de plus à la retraite que nos voisins, et les retraites représentent chez nous près de 14% du PIB, un record international.

Qui plus est, une durée d’activité plus longue, du moins pour ceux qui sont en capacité de travailler plus longtemps, présenterait d’autres avantages essentiels pour les Français au-delà de la consolidation de notre généreux système de protection sociale, avantages peu soulignés dans le débat public jusqu’ici :
1. La rémunération de ce travail additionnel et la production correspondante viendraient augmenter à due concurrence le pouvoir d’achat réel. Deux années de travail en plus en moyenne, c’est 5% de pouvoir d’achat global en plus. Et à plus long terme, cinq années de plus, alignant la durée de la retraite effective sur celle de nos voisins, c’est 12% de pouvoir d’achat en plus, comblant par exemple l’essentiel du retard de pouvoir d’achat et de niveau de vie que nous avons par rapport à nos voisins allemands.
2. Les pénuries de main d’œuvre et les goulots d’étranglement en matière d’emploi seraient réduits, avec du personnel compétent et immédiatement disponible. Les entrants sur le marché du travail pourraient alors s’orienter plus largement vers les secteurs nouveaux, dont l’urgente réindustrialisation, à commencer par les investissements qu’appellent la transition énergétique et l’urgence écologique. C’est plus largement un point essentiel de l’amélioration de notre souveraineté.
3. Le pacte générationnel, qui fonde nos régimes de retraite en répartition, mis en danger par la pression qu’il fait reposer sur les actifs cotisants et les dettes qu’il accumule sur leurs épaules, les faisant se désengager, serait conforté.

Mais cette argumentation ne suffira très probablement pas à convaincre les seniors de travailler plus longtemps : s’ils n’étaient pas loin de consentir des efforts pour sauver leurs retraites, avec la présentation actuelle, ils ne voient pas leur intérêt à travailler davantage essentiellement pour les autres.
Le point de passage pour rendre cette évolution acceptable est à nos yeux un meilleur alignement des intérêts des seniors avec l’intérêt de la réforme pour l’ensemble des français. Augmenter le nombre d’annuités travaillées pour bénéficier de droits pleins, même progressivement, met certes la pression en faisant craindre une insuffisance de droits et des retraites plus faibles. C’est le bâton. Sans doute est-il nécessaire. Mais ce qui compte vraiment, c’est que la durée d’activité augmente réellement et sensiblement. Nous proposons de mettre à l’agenda de la concertation un ensemble d’incitations pour les seniors, que l’on pourrait qualifier de carottes :

1. À l’initiative des entreprises, globalement favorables à la réforme, et dont beaucoup cherchent à embaucher, améliorer l’attractivité du travail chez elles pour les seniors, qu’il s’agisse de garder les leurs plus longtemps ou d’en embaucher :
a. Former leurs seniors ;
b. Poursuivre l’aménagement des conditions de travail pour rendre les fins de carrière plus supportables, voire attractives ;
c. Plus largement répondre par exemple à l’appel de l’Oréal et du Club Landoy en mars dernier pour valoriser la place des 50 ans et plus en entreprise. Et aménager leur pratique en ce sens : l’Oréal lance actuellement un grand plan en faveur de l’emploi des seniors.
d. Les entreprises pourraient à cette occasion se valoriser elles-mêmes sur ce sujet dans leur information non financière, voire anticiper de futures obligations dans le cadre de la RSE.

2. Pour les seniors, de façon globale, bénéficier collectivement de ce travail supplémentaire :
a. Avec les organisations syndicales, négocier dans leur entreprise et dans leur branche une amélioration des conditions de travail des plus de 50 ans, y compris des mesures d’amélioration de l’employabilité, leur donnant l’envie et la possibilité réelle de travailler progressivement un peu plus longtemps ;
b. Affecter au financement du risque de dépendance les produits de l’amélioration des équilibres financiers des régimes de retraite de base et complémentaires, au-delà du maintien du pouvoir d’achat des retraités et à conditions de cotisation constantes. Retraite en bonne santé ou en situation de dépendance deviendraient ainsi progressivement deux modalités au sein de chaque régime de retraite.

3. Pour les seniors, et de façon individuelle, bénéficier d’un retour accru sur leur travail additionnel au-dessus des seuils légaux pour ceux qui feraient ce choix :
a. Par une exonération des cotisations chômage et maladie employeurs et salariés au-delà de ces seuils, qui leur seraient intégralement reversées en augmentation de salaire intégralement défiscalisées, jusqu’à ce qu’ils prennent leur retraite. C’est de plus de 10% de hausse dont il s’agit ;
b. Par un plein retour du bénéfice apporté aux régimes de retraite par une poursuite de l’activité au-delà de ces seuils, par majoration du montant de la retraite de 6,5% par année supplémentaire travaillée, se décomposant en 2,5% par année travaillée en plus, et 4% par année de retraite en moins.

En conclusion, nous recommandons pour préparer la concertation avec les partenaires sociaux de déplacer le cœur du débat de la durée de cotisation vers l’activité réelle des seniors, et d’aligner leurs intérêts individuels et collectifs avec ceux de notre société dans son ensemble. Il s’agira alors pour les seniors d’améliorer dès à présent leurs conditions de travail, de différer la chute de leur revenu à la prise de leur retraite, d’améliorer leur protection en cas de dépendance, et s’ils prolongent leur activité au-delà des seuils légaux, d’augmenter leur pouvoir d’achat pendant cette période d’activité supplémentaire puis de bénéficier d’une majoration pleine et substantielle de leur retraite. L’amélioration de nos équilibres financiers ne serait plus alors que l’heureuse conséquence de l’évolution des comportements, évolution grandement facilitée par des intérêts mieux alignés.

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

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