PORTRAIT :
Thierry Léger,
à toutes épreuves

Thierry Léger, directeur général de Scor, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’assurance le 13 juin 2024.

PORTRAIT : Thierry Léger, à toutes épreuves
PORTRAIT : Thierry Léger, à toutes épreuves

Thierry Léger, directeur général de Scor, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’assurance le 13 juin 2024.

Le rendez-vous devait initialement être court : à peine 30 minutes, dans une salle de réception du siège de Scor. Bonne nouvelle, Thierry Léger, costume gris et yeux bleus rieurs, est particulièrement efficace. Nous lui ferons remarquer, ce qui déclenchera un nouveau rire… après 40 minutes d’entretien. « Le timing n’est jamais bon, j’ai tendance à en faire trop », lâchera-t-il au cours de l’échange. Explications dans son portrait.

Thierry Léger est né le 6 juillet 1966 à Wädenswil dans le canton de Zürich, en Suisse.
« Si j’étais né en juin, ça aurait fait beaucoup de 6 », s’amuse-t-il, après avoir minutieusement épelé le nom de sa ville natale. Franco-Suisse, il explique que sa famille est « française, la branche principale est parisienne, et j’ai de la famille française par alliance. La branche suisse est petite aujourd’hui. »
Il grandit néanmoins en Suisse, où il fait ses études et assume sa double culture, qui n’est pas toujours évidente à porter. « J’ai toujours été biculture. Toute ma jeunesse je n’étais jamais totalement dans le moule. Je ne l’ai pas vécu comme quelque chose de négatif, mais il y a eu des moments difficiles. D’autres enfants étaient comme moi, ne s’intéressaient pas à l’école car on avait des facilités – il faut le dire – pour obtenir des résultats. Mais moi, les professeurs me disaient en permanence : ‘Léger à la légère !’ Ça se dit avec le même mot en suisse allemand : ‘à la légère’ ça veut dire un peu trop cool. Et on ne le vit pas toujours très bien », confie-t-il sans perdre pour autant son grand sourire.
Comme il le dit, l’école ne l’intéresse pas beaucoup. « Il fallait arriver aux objectifs, avec le moins d’efforts possible », explique-t-il. « Je commençais à me concentrer et à m’intéresser quand les sujets devenaient plus difficiles. Il me fallait un but autre qu’une bonne note, car une bonne note ne me motivait pas. L’école, il fallait la passer et c’est vrai que quand j’étais jeune, j’avais énormément de centres d’intérêt… en dehors de l’école », avoue-t-il. « Quand j’y repense, c’était énorme tout ce qu’il y avait… Par exemple le sport, mais j’étais aussi connu pour être celui qui répare les vélos, qui fait de la plomberie, qui change les papiers peints, ou repeint la cuisine », énumère Thierry Léger qui conclut : « j’adorais ça ».
Comprendre, faire, et si possible avec une vraie difficulté à surmonter.

Le rêve nautique, la réalité de l’ingénieur

Nous savons qu’il a une formation d’ingénieur. Mais enfant il voulait être… directeur de banque ! « C’est ce qu’on m’a dit, je ne m’en souviens pas et je ne peux pas l’expliquer », précise-t-il. Il n’y a pas de banquier dans sa famille et l’idée lui passe à tel point qu’au moment de poursuivre ses études, il hésite « entre des études d’économies, d’ingénieur ou de pharmacie. La pharmacie c’était vraiment bizarre, heureusement que je n’ai pas poursuivi », rit-il franchement. Des origines à chercher du côté de sa famille ? Il balaye l’idée rapidement, « parce que personne dans ma famille n’avait fait d’études longues. En Suisse, 80% des gens font de l’apprentissage donc étudier, c’était mon choix. » Son désintérêt de l’école semble s’évanouir avec des matières plus denses. « Je me suis toujours intéressé à la technique et à l’économie. J’ai toujours eu de la facilité avec les chiffres. » Mais au fond, « mon vrai rêve aurait été de développer des bateaux à voiles de courses, pour l’America’s Cup ou le Vendée Globe par exemple. Mais il n’y avait rien en Suisse… Il fallait que j’aille en France, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, mais le courage m’a manqué », regrette-t-il à demi-mot, car « je garde ce rêve », termine-t-il.
Les études d’ingénieur l’amènent dans un bureau d’étude qu’il quittera pour rejoindre Swiss Re, puis Scor en 2023. Il n’a pas de souvenir de son sentiment à la découverte de la matière assurance, mais se souvient bien de sa rencontre avec Swiss Re.
« Je jouais au tennis avec un copain, et un peu plus tard j’ai appris que c’était un club de tennis Swiss Re. Je rencontrais des gens de Swiss Re, ils me semblaient tous vraiment bien. Je m’imaginais travailler avec eux. C’était une vie plus internationale, avec les voyages, les langues, l’économie ». Il commence souscripteur en construction et, de son propre aveu, « il y avait tout ! Rejoindre Swiss Re, c’était le rêve. J’avais l’impression d’arriver sur la ouate. Tout était doux, il y avait des machines à café, des croissants, des fruits. Même en management, on me demandait comment j’allais, si ça se passait bien », confie-t-il.
Thierry Léger avait trouvé sa voie. Avec le tennis en point de départ.

Intensément… tout

Car le sport, chez Thierry Léger, c’est du sérieux.
Une enfance au bord d’un lac a développé un amour pour les sports d’eau. Mais pas seulement. Le dirigeant dit avoir « toujours été multisports ». Quand on lui demande s’il pratique encore UN sport, il répond très simplement qu’il y a « des sports que je fais tout le temps, ce sont les sports de fond : la musculation, le vélo, la course à pied, le ski de fond. Et j’ai les sports de fun comme le ski alpin, le tennis, le squash, le volley-ball et les sports d’eau. » Cette dernière catégorie se décline en voile, windsurf et maintenant le kite-surf, qu’il adore. « J’ai toujours aimé voyager et les voyages se prêtent bien à ces sports », enchaîne-t-il, s’occupant aussi des transitions.
Des voyages en bord de mer ? « Pas forcément, mon plus grand voyage a été la traversée de l’Afrique en moto, avec mon frère et un ami », décrit-il. Il prend le temps d’expliquer ce road trip parce que selon lui, « ça, ça en dit un petit peu sur moi ». « C’était au milieu des études. Je n’étais pas ultra pressé de travailler et j’avais compris qu’il y avait cette opportunité unique de voyager et d’interrompre mes études. Personne n’allait me demander où j’avais perdu ces 2 ans tant que j’étais en études. Je me suis arrêté deux fois un an. La première pour le service militaire et pour travailler un peu comme stewart chez Swiss Air, la deuxième fois pour ce voyage ».

Père de trois enfants, dont deux grands fils, nous lui demandons s’ils sont aussi dynamiques. « Ah moins hein ! Moi je suis un peu extrême », répond-il dans un souffle. « Je n’en ai pas vraiment conscience mais on me le dit tellement. Les enfants sont bien mieux que moi, plus équilibrés », ajoute-t-il, prenant pour exemple le fait qu’ils « parlent sans accent, dans aucune des deux langues, en Français comme en Suisse Allemand. »
À propos de son activité débordante, il raconte une anecdote.
« Ma première femme est décédée en 2003. Nous partions avec les enfants en vacances avec des amis, pour ne pas rester seuls. Nous étions cette fois-là avec un couple d’amis et à la fin de la semaine, la femme m’a dit : ‘nous avons des chaises longues et tu ne t’es pas assis une seule fois dessus…’ J’ai besoin de me dépenser », livre-t-il toujours en souriant.
Le week-end idéal de Thierry Léger sera logiquement (très) actif. Pourtant, sa première réponse est « un week-end sans plan. Je clôture mon travail vendredi soir, parfois tard, puis après j’ai une phase de laisser-aller et je fais selon le temps, selon mes envies ».
Nous demandons s’il y parvient. « C’est tellement fort ce désir, et c’est encore plus fort depuis que j’ai de grosses responsabilités, que j’y arrive bien. Samedi / dimanche, c’est sacré. Si les gens veulent m’atteindre, il faut m’envoyer un message pour me dire de regarder mes mails, parce qu’il y a autre chose que le travail dans la vie. Le week-end, je fais autre chose. » Autre chose, c’est à sa façon. « C’est toujours un mélange entre faire ce qu’il faut faire, et du sport, rencontrer de la famille ou des amis. Par exemple mon frère me propose de faire un tour en moto, ou un ami me dit : ‘vient on va faire de roller parce que les rues sont libres à 6h le dimanche matin’, et c’est parti. Je ne suis pas seul le week-end, j’aime être avec des gens. »

Transformation interne

Au moment de conclure – nous le pensions – cet entretien, nous demandons à Thierry Léger la dernière chose qui lui a fait plaisir. « C’est la naissance de ma fille il y a huit semaines. Je suis un jeune papa et un vieux papa », rit-il franchement. « Ça m’a… » commence-t-il, sans finir la phrase. Une naissance au milieu des résultats trimestriels et en plein préparation de l’assemblée générale… « Le timing, ce n’est jamais le bon, même pour un Suisse. J’ai tendance à en faire un peu trop, toujours », ajoute-t-il.
Quant à savoir quelle est la dernière chose qui l’a mis en colère ou au moins agacé, c’est une vraie colle. « Fâché, carrément fâché ? Oh la la, je ne sais pas… je ne me souviens pas. Au boulot peut-être, dans la vie personnelle… Ça fait partie de ma vie professionnelle d’assumer les coups. C’est tout le temps comme ça. » Une question en forme de défi qu’il promet de résoudre s’il trouve avant la fin de l’entretien. Ce qui en soi est une réponse.

Nous terminions quand Thierry Léger nous interpelle. « Vous n’avez pas rebondi sur le décès de ma femme. » Nous répondons pêle-mêle pudeur, manque de temps, le ton détendu et positif de l’entretien, il poursuit : « Si vous m’aviez demandé quel était le moment le plus difficile de ma vie, c’était ça. Et ça a marqué ma carrière de manager. Jusqu’à ce jour, j’étais beaucoup centré sur moi, ma vie, mes enfants et là j’ai réalisé qu’il y avait autre chose. En tant que manager, ça m’a tellement marqué que j’ai développé une empathie envers les gens et les situations que l’on ne voit pas toujours. Beaucoup de gens sont venus me voir pour me consoler et m’ont parlé de leurs problèmes. Et là j’ai compris que nous avons tous des problèmes. Nous avons une vie professionnelle et derrière, nous avons tous une croix, deux croix à porter. J’ai réalisé que ma croix était particulièrement dure, mais que je n’étais pas le seul.
Ça m’a aidé à deux choses : ça m’a obligé à décider ce que je voulais être et ce que serait ma vie. J’étais vraiment au fond du trou et j’ai décidé que c’était mes enfants, ma carrière. Après ça, on se limite aux choses importants de la vie. J’ai vu aussi que la vie pouvait s’arrêter. J’avais 36 ans, les enfants avaient 5 et 7 ans.
Beaucoup de gens ont eu ces moments et pour moi ça a été déterminant. Ça m’a amené une nouvelle empathie … Je suis toujours clair, toujours compétitif, mais les gens sous-estiment parfois à quel point j’ai ça et ce qu’est ma vision des choses. Sans ça, ma vie n’aurait pas été la même. Je ne le souhaite à personne. »

Sur le chemin qui nous amène à l’ascenseur, le dirigeant à qui les Suisses reprochent d’être trop bavard et les Français trop « pragmatique, trop décisif, trop processus », raconte comment il a choisi de faire du violon pendant six ans quand il était enfant. « En Suisse tout le monde joue d’un instrument mais, en général, il faut choisir entre la guitare et le piano. Moi j’ai choisi le violon, parce que mon parrain était premier violon du Tonehalle de Zürich » La salle de concert est située en face des bureaux de Scor. Comme un clin d’œil de toutes les vies de Thierry Léger, rassemblées au bord d’un lac calme… en apparence.

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