Contribution / Grande Sécu :
Quelle gouvernance pour réussir une réforme ?

Le rapport du HCAAMi de janvier 2022 présentant « quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et Assurance maladie complémentaire » est doublement étonnant :

  • Exceptionnellement, ce rapport n’engage pas les membres du Haut Conseil qui, à aucun moment, n’ont eu à se prononcer, est-il précisé en chapeau. Parler de rapport DU HCAAM n’est-il pas inapproprié ?
  • Le titre laisse à penser que les 4 scénarios polaires permettent de cartographier le champ des possibles. Or les représentants des assureurs maladie complémentaires rejettent les 4 scenarios, le rapport et la démarche, parlant de tentative d’instrumentalisation du HCAAM et de discrédit de l’institution.

Plus qu’étonnant, c’est stupéfiant, d’autant plus que l’objet même d’instances comme le HCAAMii est de nourrir une pédagogie et de faire émerger des consensus. Après des années de travail, on se retrouve avec des acteurs antagonisés et braqués, une administration discréditée, un ministre désavoué qui a rétropédalé, alors que chacun au début partageait l’analyse selon laquelle une évolution était possible si ce n’est souhaitable. Le sentiment de gâchis est considérable.

Avant d’esquisser comment la situation est peut-être récupérable, nous proposons de se poser quatre questions :

  1. Le problème à traiter était-il bien posé ? Aborder le sujet par les rôles respectifs de la Sécurité Sociale et l’Assurance maladie complémentaire met quasi nécessairement les deux parties l’une en face de l’autre. N’aurait-on pas dû entrer dans le sujet par ce qui réunit plutôt que par ce qui oppose, à savoir : comment améliorer la santé des français, comment rendre notre système de santé, qui absorbe plus de 11% du PIB, plus performant et son financement plus soutenable ? Comment mieux aligner les intérêts des parties ?
  1. L’instance retenue pour traiter le sujet était-elle la bonne ? Elle a produit 4 scenarios dits polaires, tous rejetés. Est-ce un constat d’impossibilité ? Ou bien s’agissait-il de quatre scenarios à plat, alors qu’il conviendrait de prendre de la hauteur, en invitant aux travaux l’intérêt général, les économistes, les assurés, les contribuables, et de regarder le sujet en dynamique au moment où les dépenses de santé vont augmenter sensiblement avec le vieillissement de la population ? A l’exemple de la gestion de la crise Covid où l’on est passé de l’approche technique en Conseil Scientifique à une approche plus globale en Conseil de Défense ad hoc, ne convient-il pas de passer du HCAAM à une instance plus globale ?
  1. Le teneur de plume était-il le bon ? La plume (collective) du rapport est manifestement très compétente. Mais proche de l’administration, elle est naturellement plus sensible aux scenarios donnant plus de pouvoirs aux pouvoirs publics qu’à d’autres acteurs. Un acteur unique et public prenant toutes les décisions et les mettant en œuvre n’est-il pas culturellement pour une administration le moyen le plus efficace de gérer un secteur ? Et même si la plume est très neutre, elle risque d’être suspectée de ne pas l’être, c’est toute la difficulté du conflit d’intérêt.
  1. Le sujet a-t-il été abordé sous le bon éclairage ? Chacun connaît le biais décisionnel dit « syndrome du réverbère » : quand on cherche quelque chose, on le cherche par priorité où l’on peut le trouver, là où il y a de la lumière, comme la personne qui a laissé tomber les clés de sa voiture la nuit.

Au cas d’espèce, le projecteur a été mis sur le ratio de frais de gestion. La sécu gérant des volumes importants sur des prestations homogènes et pour des montants élevés a par construction des ratios de frais de gestion faibles au regard de ceux des assureurs complémentaires. En faire un argument massue en faveur d’une Grande Sécu ne fonctionne que si les complémentaires (et les services spécifiques qu’elles apportent) disparaissent. Si elles demeurent avec une assiette de prestations plus réduite, leurs dépenses de gestion en euros, dont une large part est affectée à la distribution, ne baissent pas sensiblement. Les prises de position de l’administration sur la base des ratios de gestion et des économies de gestion à réaliser ont été perçues comme déformant la réalité et de parti pris, provoquant une levée de boucliers. Celle-ci a été aggravée par la préférence affichée par le Ministre pour le scenario de Grande Sécu puis par l’insistance de l’administration à forcer le destin et soupçonnée d’avoir intentionnellement livré des informations à la presse avant qu’elles ne soient transmises au HCAAM et débattues par lui.

Il a été simultanément observé en sens inverse que le sujet des transferts de charges vers les actifs en fonction des scenarios, sujet majeur tant le travail productif en France n’arrive déjà plus à financer la redistribution, a été, au-delà de prudentes évocations, laissé dans l’ombre. Quelle serait, sous cet éclairage, la soutenabilité des différents scenarios proposés ?

Au final, alors qu’il y avait des éléments intéressants dans les travaux, c’est toute la démarche qui a été rejetée, France Assureurs allant jusqu’à publier ses positions en dehors par un livre blanc. L’administration semble ainsi s’être tiré des balles dans le pied à répétition, à la Kalachnikov pourrait-on dire. Il n’est pas rare qu’il faille dix ans pour se remettre de pareil échec et rouvrir le chantier, le sujet comme ses porteurs étant durablement discrédités. Un vrai gâchis.

Pour conclure sur une note plus positive, esquissons en contrepoint ce que pourraient être, en termes de gouvernance, les conditions d’une reprise des travaux :

  • Redéfinir l’objectif global poursuivi, à partir des besoins prioritaires aujourd‘hui et plus encore demain, en prenant en compte ce qui relève de la santé et de l’offre de soins, et pas seulement de son financement ;
  • Distinguer ce qui relève de choix techniques et de choix politiques ou de société. Au vu des besoins et des hypothèses abordées dans les travaux, il n’est pas exclu qu’il s’agisse de refonder notre système de santé et son financement, pour les décennies à venir. Un important travail préparatoire est nécessaire, suivi d’une validation qui nous semble relever du choix politique s’il s’agit in fine notamment de revenir sur notre système largement assurantiel et libéral pour aller vers un système quasi totalement administré. On pourra observer qu’une partie du chemin en ce sens a été accomplie au fil de l’eau avec le strict encadrement des complémentaires qui prévaut actuellement, mais avec les graves inconvénients relevés dans nos précédentes Contributions ;
  • S’appuyer sur une instance ayant une vision d’ensemble, sans doute ad hoc et à définir, permettant de rebâtir une confiance, indépendante du ministère en charge de la santé, qui est nécessairement une partie prenante essentielle mais ne peut être au centre du dispositif ;
  • Privilégier autant que possible l’alignement des intérêts de préférence à la confrontation.

Vaste programme, mais, s’agissant de plus de 11% du PIB, en croissance régulière et qui va s’accélérer avec le vieillissement de la population, l’enjeu mérite à notre sens qu’on lui accorde le temps, les approfondissements et la concertation nécessaires.

Régis DE LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

i Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, créé en 2003.

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