Contribution / Grande Sécu :
Quelle part de leurs dépenses de santé les seniors devraient-ils assumer?

En France, plus de la moitié des dépenses de santé est attribuable aux seniors ; leur consommation par tête est en moyenne le triple de celle des moins de 60 ansi. Les dépenses de santé totales atteignant à présent 11,2% du PIB, la part des seniors dans ces dépenses de santé représente près de 6% du PIB. Cette proportion continuera inexorablement de croître sous l’effet du vieillissement de la population et du coût des soins.

Les ressources des seniors se composent pour 80% de leurs retraites, lesquelles représentent au total 14% du PIB. Il est clair qu’ils ne peuvent pas financer eux-mêmes l’intégralité de leurs dépenses de santé, ce qui représenterait en moyenne 40% de leurs retraites et le tiers de leur revenu total, et bien davantage pour les petites retraites.

Faut-il pour autant les en décharger beaucoup plus qu’aujourd’hui, du fait d’une Grande Sécu qui prendrait en charge sans cotisation de leur part, outre les ALD, l’intégralité des soins couverts par l’Assurance Maladie Obligatoire sans ticket modérateur ?

Séduisante du point de vue des seniors, cette perspective de Grande Sécu a des conséquences graves sur les complémentaires et plus largement sur notre système de santé, qui ont conduit à l’abandon du projet.

Au-delà des arguments qui ont conduit à cet abandon, et dans la perspective d’une reprise ultérieure des travaux, les conséquences d’une réforme sur les actifs doivent à notre sens être également prises en compte, en amont du débat : les actifs financent les 14% du PIB que coûtent les retraites, quelle proportion des près de 6% du PIB de dépenses de santé des seniors devraient-ils assumer en plus demain et après-demain ?

Rappelons en effet que les revenus par tête des retraités sont en France en moyenne légèrement supérieurs à ceux des actifs, alors qu’ils leur sont inférieurs dans la quasi-totalité des autres pays de l’UE.

Au risque d’apparaître provoquants, ne devrait-on pas dans le contexte de notre pays, envisager une plus importante participation des seniors au financement de leurs dépenses de santé ?

Retraites et dépenses de santé sont deux des composantes essentielles de la protection sociale, financée essentiellement par des prélèvements obligatoires en France. Leurs poids relatifs au PIB sont parmi les plus élevés au monde, pénalisant le travail productif et handicapant les secteurs exposés à la concurrence internationale. Signe qu’ils ne peuvent plus être augmentés, et qu’il est dès à présent nécessaire de les réduire, les déficits s’accumulent, qu’il s’agisse de l’assurance retraite, de l’assurance maladie ou du budget de l’Etat, nous plaçant dans le peloton de tête des pays les plus endettés.

Les retraités consacrent en moyenne un peu plus de 5% de leur budget après impôt à leur santé (cotisations à leur complémentaire et paiements directs). S’y ajoute leur contribution indirecte au travers de la CSG et de la TVA. Leurs revenus étant supérieurs à ceux des actifs, et leurs dépenses de santé par tête triple de celles des moins de 60 ans, ne devraient-ils pas y consacrer significativement plus que les 11,2% de part moyenne des dépenses de santé dans le PIB ?

Une évolution dans ce sens pourrait être engagée par la réintroduction progressive d’un ticket modérateur d’ordre publicii, qui serait fortement responsabilisante pour toutes les dépenses non essentielles, comme on l’a vu dans une précédente Contribution. Les maladies graves prises en charge intégralement par l’Assurance Maladie Obligatoire par les mécanismes de l’ALD le resteraient. Cette évolution s’accompagnerait de l’élargissement du dispositif de prise en charge à 100% pour les seniors dont les revenus sont les plus modestes, de façon à éviter les renoncements aux soins, et d’un écrêtement des paiements directs résiduels élevés et justifiés après intervention de l’assurance complémentaire pour les autres seniors.

Une telle évolution serait-elle inacceptable à notre génération, qui a maintenant pris conscience de ce qu’elle lègue déjà le réchauffement climatique, la dette et le poids des retraites à celles qui nous suivent, et à un moment où les jeunes générations expriment de plus en plus ouvertement qu’elles portent plus que leur part des contraintes dans la lutte contre l’épidémie du Covid ?

Le positionnement du curseur de l’effort des actifs relève à nos yeux du débat démocratique à venir, qui méritera d’être alimenté par des étudesiii à compléter notamment dans une dimension prospective.

À suivre …

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques

Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

i On retient ici 60 ans comme âge limite inférieure des seniors pour tenir compte de l’arrêt d’activité avant la liquidation effective des droits à retraite.

ii Le ticket modérateur d’ordre public est le nom technique d’un paiement direct minimum obligatoire

iii Cf par exemple l’excellente note de France Stratégie de décembre 2021 « Protection sociale : qui paie le coût du vieillissement de la population » ?

La 1ère partie porte sur les frais de gestion

La seconde partie parle de la gratuité des soins

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