PORTRAIT :
Djamel SOUAMI,
le bon jet d'idées

Djamel Souami, président du CTIP, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 21 janvier prochain. Voici son portrait.

Le rendez-vous se tient dans une brasserie du XIVe arrondissement de Paris. Le froid s’installe tranquillement sur Paris alors que le début de la contestation à la réforme des retraites est annoncée mais pas encore effective. Au milieu des bruits de percolateurs, de tasses et des odeurs de café portées par les habitués du lieu, Djamel Souami déroule sa vie, avec beaucoup de rires sonores, des réflexions à voix haute et une douceur naturelle.

Djamel Souami est né le 9 avril 1964 à Paris, sa mère ayant préféré donner naissance à son deuxième fils en France, près de sa famille, avant de repartir en Algérie quelques semaines après. « Le 9 avril, c‘est ma date de naissance biologique », explique-t-il.
Les choses sont souvent plus compliquées qu’il n’y paraît, et le président du CTIP ne déroge pas à cette règle. « J’ai plusieurs histoires en fait. J’ai d’autres dates de naissance : Février 89, quand j’arrive en France, et novembre 2003, quand je me fais licencier de Médéric ».
L’histoire commence donc au printemps 64 à Bejaïa, en Algérie, « une ville provinciale et côtière » à 220 km à l’est d’Alger. Deuxième d’une fratrie de trois, avec un grand frère et une petite sœur, il se définit comme un bon élève, très travailleur. Et il peut expliquer pourquoi. « Quand on est trois enfants, on se positionne les uns par rapport aux autres et on cherche la singularité. Soit je faisais ce que mes parents attendaient, soit je faisais le contraire. Pour mon père, en bon kabyle, l’élévation sociale par les études était le plus important. Alors j’ai été le travailleur, le bon élève. L’école était facile et agréable, je m’y amusais bien ».

Son Bac en poche, il part pour la capitale où il suit des études de physique. Il se voit avec un doctorat, puis chercheur. « En Algérie, l’idée est souvent de rester le plus longtemps à l’école », rit-il franchement. Pourtant, la perspective d’études longues ne suscite pas un grand enthousiasme. « J’ai regardé ce qui était possible pour faire une belle carrière, et à cette époque la voie royale, c’était l’armée. Je me suis engagé dans l’armée de Terre, j’ai fait une école d’application et je suis devenu officier ».
Pourtant, adolescent, il se voit plutôt architecte, « mais je confondais avec ingénieur et chef de chantier. Pour moi, l’architecte était celui qui faisait les plans et dirigeait les chantiers ! »

Armée et libération

Djamel Souami a 21 ans et se prépare à une carrière d’officier. Il fait rapidement le constat que ce métier ne lui plaît pas. « Je sais maintenant que je cherchais de l’engagement, du sens mais aussi du travail avec une certaine rigueur dans le travail. En réalité, je découvre une armée en temps de paix, qui vivote. Avec les budgets, on faisait surtout de l’entretien des chars et des bâtiments. Et le reste du temps, on jouissait de notre statut social… Vraiment, je me suis ennuyé. »
Nous sommes en 1988 et avec le recul, il affirme : « Peut-être que j’ai senti un mouvement, que quelque chose n’allait pas. J’ai demandé à être libéré en début d’année. J’ai profité d’un contexte favorable et ils m’ont libéré le 30 septembre 1988. Le 5 octobre, ce sont les premières émeutes. »
Le mouvement, connu sous le nom d’Octobre 88 en Algérie, commence dès le 4 octobre et se terminera le 10 octobre. Le pays est d’abord paralysé par de grands mouvements contestataires. Le pouvoir algérien décide d’envoyer l’armée, qui tire sur la foule pour un bilan de 500 morts et 15 000 arrestations. C’est la fin des « libérations » pour les officiers et le début d’un désamour croissant de la population pour son armée…
En 1989, au mois de février, Djamel Souami arrive en France. « J’ai décidé de changer de pays. Je suis arrivé un jour avec mon baluchon et 2 500 francs en poche à Orly. J’ai démarré une nouvelle vie. » De mère française, il n’a « pas problème de papiers. Mais je ne connaissais pas ce pays, j’y étais venu trois-quatre fois en vacances, c’est tout ».
A 25 ans, il faut tout recommencer. « Le premier boulot qui venait, je le prenais, sans aucune notion du salaire. Je n’avais qu’un seul modèle, gagner sa vie = travailler, donc j’ai trouvé une place comme téléopérateur, avec des CDD mensuels », explique-t-il. Un modèle social qui l’interpelle encore maintenant…

Sa femme restée en Algérie pour finir ses études, Djamel Souami travaille « trop », selon son employeur. « Je préparais l’arrivée de mon épouse, et je n’avais qu’un truc à faire : bosser. Mais je dépassais le nombre d’heure maximum prévu par le code du travail… » En mars 1990, il se lance avec son patron employeur en créant une entreprise, dont il prend la gérance.
« On a simplement créé un courtier en réservations hôtelières. Si ça avait bien marché, toute ma vie aurait été différente ! Quand on voit ce qu’est Expedia aujourd’hui… », rit-il franchement. Et nous n’aurions sûrement pas écrit ce portrait.
Le déploiement est bon et rapide. Mais un conflit vient mettre un terme à l’aventure. Encore. Le déclenchement de la première guerre d’Irak, au mois d’août, stoppe net le tourisme et donc les réservations. « Nous avions un bon modèle, nous commencions à être référencés par les entreprises, mais quand les difficultés sont arrivées, nous n’avons pas su aller voir les banques pour survivre. C’était une première expérience et je n’ai pas su gérer la phase de descente », admet-il, honnête et clairvoyant.

À la France du travail

Retour sur le marché de l’emploi… Une nouvelle fois, Djamel Souami analyse les possibilités. « J’ai remarqué que les entreprises cherchaient des informaticiens. Je me suis mis au coding et j’ai été recruté par Unilog. Pour l’anecdote, j’avais rendez-vous pour passer des tests le lundi, mais j’avais un rendez-vous médical programmé de longue date. J’ai appelé et la personne m’a alors dit de venir le mardi, avec cette phrase : ‘le mardi, c’est l’assurance’. C’est donc ma dentiste qui a contribué à me faire entrer dans le secteur », lâche-t-il dans un rire. Son premier contact avec l’assurance se fera comme informaticien pour des clients assureurs…
La carrière de Djamel Souami prend un nouveau tournant après sept ans chez Unilog.
Lassé par le code et la mise en œuvre, il fait tout pour devenir chef de projet, plutôt pour définir les plans et diriger le chantier que pour construire. « Je n’étais pas bon parce que ça ne m’intéressait pas en réalité de coder. Moralité, quand vous n’êtes pas bon dans quelque chose, devenez chef » lance-t-il dans un nouvel éclat de rire.
Rien de tel que d’apprendre et de se former. Il se lance, pendant 18 mois, dans un MBA à l’ESCP. « J’y ai appris les principes de l’entreprise, son fonctionnement, que son efficacité n’était pas la somme des qualités individuelles mais une efficacité collective… J’ai compris que l’entreprise était une articulation optimale des contributions des uns et des autres. » Mais son diplôme en poche, Unilog n’a pas prévu de le faire progresser… Six mois après sa formation, il quitte le groupe pour le conseil, chez KPMG.
Là, Djamel Souami bascule dans les créations de services. Ce sera le cas chez Covéa, en 2000, avec la création de la DSI Maaf-MMA, puis chez Médéric, qui venait de racheter une compagnie spécialisée en obsèques. « C’était une petit équipe, on était une cinquantaine pour environ 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pas mal ! On était une start-up et je ne me suis jamais autant amusé que pendant cette période », confie-t-il. Pendant trois ans, de 2000 à 2003, tout va bien. Mais un changement stratégique acte la fin du développement en individuel. « Le message n’est pas arrivé jusque chez nous, j’ai compris ça bien plus tard ! », explique-t-il. Un nouveau DG arrive et applique la stratégie : gérer sans faire de vagues. « C’est la preuve que dans un plan de transformation, il faut que le message soit diffusé à toutes les équipes pour savoir quel est l’objectif », analyse-t-il.

Syndicalisme passionné

La séparation se passe mal. Alors que le constat est clair, les négociations s’enlisent et Djamel Souami est brutalement mis à pied. « Après trois ans en mode start-up, je me retrouve à 11h, un lundi matin, à la maison. C’était extrêmement violent. » Au hasard d’un coup de téléphone le jour même, un ami l’envoie vers l’UDAP, qui l’aide dans la négociation et l’accompagnement. « Je suis arrivé dans le monde syndical par la petite porte, avec mon sinistre (sic). » Sollicité pour prendre des responsabilités dans l’union, il accepte, à chaque fois, jusqu’à en prendre la présidence. Là démarre son parcours au sein de la CFE-CGC, qui le conduira à la présidence du CTIP.
Parallèlement, il entre chez CNP, pendant deux ans, puis passe dans le groupe Caisse d’Epargne Natixis pour structurer la DSI de la filiale Cautions, de 2006 à 2011. Entre temps, il fait le MBA du CHEA en 2008. « Là, j’ai compris les entreprises d’assurances. Tous les dix ans, je retourne à l’école… (il s’interroge à voix haute), tiens ça fait dix ans d’ailleurs, je vais peut-être bientôt (il s’arrête quelques secondes)… on verra. »
Depuis 2012, il est directeur associé chez Micropole. Il jongle avec ses responsabilités syndicales, le CTIP, Malakoff Humanis dont il est administrateur, et le travail. Car celui-ci tient une place immense dans sa vie.

Pour savoir ce qu’est pour lui un week-end idéal, il faut patienter. Longtemps. Déjà parce que Djamel Souami travaille le dimanche. « Les enfants sont loins maintenant. Avec mon épouse, nous aimons partir à Bandol, à l’Hôtel de l’Île-Rousse, ça leur fera de la pub ! Je retrouve la Méditerranée, au bord de laquelle je me suis construit…  »
Surtout, au moment de finir ce portrait, Djamel Souami tire sa propre conclusion. « Les trois critères principaux de la réussite professionnelle sont le travail, le travail et le travail, pas l’intelligence », s’amuse-t-il encore. « Non, en fait il y a le travail, mais aussi la prise de risques. Il n’y a pas de réussite sans prise de risques. Et le troisième critère, ce sont les mains tendues. Celle du hasard, mais plus souvent celle d’un ami, qui vous tire ou vous pousse. Je n’ai pas la prétention de dire que je suis un modèle, mais ce n’était pas écrit pour moi. Je suis un passeur : l’UDAP, le CTIP, ce n’est pas à moi. Mon rôle c’est de trouver la personne qui me succèdera, pour que l’oeuvre soit plus grande que nous. »
Pour que le jour de la transmission, tout soit un peu mieux qu’avant. C’est une quête, peut-être infinie, qui demande beaucoup de travail, et ça convient bien à Djamel Souami.

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