PORTRAIT :
Robert LEBLANC,
patron pilote

Robert Leblanc, PDG d’Aon France, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance, le 12 mars 2019. Voici son portrait.

Le soleil brille sans toutefois réchauffer la rue de la Fédération, à Paris. Ce début février est glacial mais ne présage en rien du rendez-vous qui va suivre.
Robert Leblanc nous accueille dans une salle de réunion attenante à son bureau. Décontracté, affable, le PDG d’AON FRANCE se prête à l’exercice avec facilité, déroulant les grandes étapes de sa vie avec une franchise étonnante et rare pour un patron.

Robert Leblanc est né à Casablanca, le 15 mars 1957. Aîné de trois enfants, il grandit au Maroc avec ses parents. Bien que la famille soit installée depuis deux générations dans le pays, la grande majorité est en France. « Ma grand-mère est arrivée à Casablanca en 1916. Elle disait toujours qu’elle était arrivée dans une ville de 12 000 habitants et qu’elle était repartie, en 1978, d’une ville de 3 millions d’habitants », raconte-t-il, pour poser le décor.
Au fil des années, le cercle familial présent sur place rétrécit.
« Le Maroc n’a pas connu de rupture comme l’Algérie, mais progressivement les Français rentraient définitivement en France. Le cercle amical et familial se réduisait d’année en année. Je n’avais pas d’autre famille, au Maroc, que mes parents et ma grand-mère… »
Ces départs le marquent sans doute, puisqu’il ajoute : « le mot définitivement avait une sonorité particulière quand j’étais enfant… »
Ce retour définitif semble d’ailleurs omniprésent pour Robert Leblanc lui-même.
Son père, fonctionnaire français formant des cadres de la jeune administration marocaine, est suspendu au bon vouloir de son employeur. « Mon père nous disait chaque année : je ne sais pas si on ne va pas me demander de rentrer en France l’année prochaine », puis il précise dans un sourire : « en fait il est resté aussi longtemps qu’il a voulu et quand mes sœurs et moi étions en France pour nos études, il a décidé de rentrer ! » Ce sera à Marseille, ville privilégiée par les Français venus d’Afrique du Nord, « pour le soleil ».

Décalage et précision

De cette période marocaine, Robert Leblanc garde des souvenirs contrastés. « J’ai vécu dans un monde très vieille France mais aussi un peu au moyen-âge. Dans la rue en bas de chez nous passaient des charrettes à chevaux, à côté de Mercedes. Quand nous partions à la campagne, j’avais l’impression que les paysans vivaient comme au moyen-âge, sans aucun confort. »
Une forme de décalage se crée avec les Français expatriés plus récemment. Le sentiment, quelque part, d’être plus Marocain et non immigré. « Je garde de très beaux souvenirs du Maroc, mais pas les mêmes que ceux qui profitaient d’une vie plus facile », conclut-il.
Pour le PDG d’Aon France, son pays est la France et il n’en a jamais douté.
Les retours, pendant les vacances, étaient rythmés par la nécessité de voir toute la famille. Robert Leblanc en garde, là encore, un souvenir contrasté, entre la joie de retrouver les siens et le programme précis concocté par son père.

Une fois en France pour les études, Robert Leblanc ne repartira au Maroc que pour des vacances. Retrouver ses parents, avant leur retour, puis avec sa femme, pour lui présenter le pays dans lequel il a grandi, et enfin avec femme et enfants, pour les racines.
Et la tradition se perpétue, puisque son fils récemment marié y a emmené son épouse. « Pour mes enfants, le Maroc représente quelque chose, plus que d’autres pays dans le monde », confie-t-il. Son lien actuel avec le Maroc reste la filiale d’Aon France sur place, qui lui donne l’occasion de faire le voyage deux à trois fois par an.

X à la coule

Adolescent, Robert Leblanc aime les mathématiques mais un peu moins la physique. Il vise une prépa, « une taupe comme on disait alors » pour entrer dans une grande école d’ingénieur. Après le bac, pragmatique, il choisit de rester à Casablanca pour faire sa prépa. « Je voulais faire une prépa maths. Je pouvais aller sur Paris ou Lyon, où j’avais de la famille, mais j’aurais dû me débrouiller pour tout. En restant à Casa, je pouvais me concentrer sur les mathématiques et la physique ».
Son objectif était d’intégrer l’X, la meilleure école. Certes, sa grand-mère aurait bien aimé qu’il fasse Normale Sup, mais « c’était très différent, beaucoup plus difficile. J’ai passé les concours mais je n’ai pas été pris, je n’avais pas le niveau », explique-t-il en toute franchise.

Il entre à Polytechnique à son premier essai et quitte, après 19 ans, le Maroc.
« C’est un double choc. Il y a le changement d’environnement, mais aussi la décompression », explique-t-il, prenant l’exemple de ses deux enfants aussi passés par des classes préparatoires. « On travaille comme des malades, la pression est très forte en prépa. Puis on arrive dans l’école que l’on vient d’intégrer et là on largue tout. On en voit aujourd’hui – ça n’a pas été mon cas – qui deviennent dépressifs. Les cuites du jeudi soir, c’est une des manifestations de ça », détaille-t-il.
Il n’est pas différent des autres étudiants. « À l’école, on commence par être bien paumé. Honnêtement, je n’ai rien fait, mais vraiment rien. J’avais beaucoup bossé pour intégrer, c’était déjà bien venant de Casa, je savais que je ne pourrais pas intégrer le Corps des Mines alors la queue de classement, pour entrer dans le privé, ce sera tout aussi bien ! », avoue Robert Leblanc avec une franchise déconcertante.

Il passe ses années à l’X à « s’amuser », choisit comme sport « le volley-ball, parce que c’était un sport de plage, je pensais que ce serait facile ».
Il ne sait alors pas du tout quel métier faire. Les entreprises qui démarchent les étudiants ne l’intéressent pas. Surtout, sans aucune ambiguïté, Robert Leblanc évoque la pantoufle, « les 100 000 francs » de l’époque et son envie d’entrer dans la vie active.
« Après trois ans d’indépendance, je n’avais pas envie de demander à mes parents de financer mes études ». Il s’oriente donc vers Arthur Andersen pour faire du conseil, et suit en parallèle les cours à Paris-Dauphine pour l’obtention d’un doctorat. « Fallait jongler. J’ai eu un peu le sentiment de jouer à quitte ou double et finalement tout s’est bien passé. J’ai eu mon doctorat en 3 ans, ce qui m’a libéré de ma pantoufle, et j’ai quitté Arthur Andersen au bout de 8 ans ».
Robert Leblanc trace alors un parallèle entre cette période et ce qu’il vit près de trente ans plus tard, entre SIACI et AON. « J’ai passé deux ans entre mon départ de SIACI et mon arrivée ici, avec une activité plus faible. Et quand j’ai été nommé à la tête d’AON FRANCE en 2009, j’avais en parallèle la présidence du patronat chrétien ? J’ai eu deux fois dans ma vie des périodes un peu sabbatiques suivies de deux-trois ans de très forte intensité. »

Le conseil pour découvrir

L’administration ne l’a jamais intéressé, peut-être pour avoir vu son père y officier pendant des années.
Le choix d’Arthur Andersen répond, là encore, à une logique précise. « Je n’avais pas à choisir une branche, une entreprise », s’amuse-t-il. « J’ai toujours été un passionné d’automobiles, mais je ne me voyais pas aller plus chez Renault que chez Peugeot, donc le conseil me semblait très bien : c’est ouvert, on verra ». Immanquablement, il a rapidement des envies d’ailleurs. « Les chasseurs de tête nous démarchaient pour devenir contrôleur de gestion ou directeur informatique… Franchement, si j’avais envie de partir c’est pour ne rien faire de tout ça ! », lance-t-il en riant.
C’est finalement à l’occasion d’une mission à la bourse de Paris, entre 1986 et 1987. Le monde de la finance lui plaît, et lorsque la Bourse lui propose de rester, il dit oui et trouve la sortie du conseil.

Côté passions, Robert Leblanc aime les voitures, depuis longtemps. Plus que le sport, qu’il a apprécié sur le tard. « Je ne suis pas très sportif, et je le suis plus qu’à 20 ans ! J’adore skier, j’ai fait de la voile aussi, en Bretagne et je chasse également ».
La question classique du week-end idéal est en réalité très complexe.
« Je ne peux pas vous dire quel est le week-end idéal, je sais juste que j’en ai pas un de libre jusqu’au mois d’août ! » s’amuse-t-il. Il y a, pêle-mêle, la feria des Nîmes, la chasse, le ski puisque c’est la saison, et bien sûr les rassemblements de vieilles voitures en Bretagne…
« Enfant, je dessinais des voitures dans mes cahiers d’écolier, des DS et des Jaguar Type E », annonce-t-il. « J’étais le seul passionné dans la famille ça n’intéressait personne et j’en parlais tellement que je n’avais plus le droit de le faire à table !  Quand j’ai pu acquérir une voiture de collection, je me suis acheté une Jaguar Type E, que j’ai depuis plus de 20 ans maintenant. »
Il compte actuellement 7 voitures, dont une DS, bien sûr. Robert Leblanc est intarissable sur les voitures, sa passion et les rencontres qu’il fait grâce à elles. Peu à peu, il a réalisé pas mal de ses rêves, jusqu’à courir les Le Mans Classique, une course automobile sur le circuit officiel au volant d’une Lotus. L’équipage finit 15e sur 75 et Robert Leblanc reconnaît avec émotion que dans les premiers tours, « le petit garçon qui rêvait de faire les 24h était là ».
Ne lui demandez pas laquelle de ses voitures est la préférée, car la réponse fuse : « j’ai cinq enfants, il n’y en a pas un que je préfère aux autres ! Pour les voitures, elles ont chacune leur particularité ».
C’est à l’image du personnage, étonnamment franc et direct, qui se livre aisément mais garde une certaine distance. La science du pilotage.