Prévention en santé :
mobiliser les complémentaires ?

Après une première contribution, Régis de LAROULLIÈRE et Jérôme CABOUAT s’intéressent maintenant à la place des complémentaires santé.

La première contribution se trouve ici

Améliorer la prévention est l’une des deux priorités retenues par le président de la République pour le prochain quinquennat en matière de santé, avec la résorption des déserts médicaux. On sait qu’en France, la prévention représente près de 2% des dépenses courantes de santé, (un peu plus de 5 milliards euros, soit près de 80 euros par tête et par an), à comparer à près de 3% pour la moyenne de l’OCDE.

Près des deux tiers des dépenses de prévention sont portés en France par l’État et les assurances obligatoires, et le troisième tiers par les entreprises (médecine du travail notamment). La part des assurances facultatives est très faible, en France comme dans les autres pays de l’OCDE, pour une raison de modèle économique bien connue : l’assureur porterait la dépense, sans que l’économie espérée grâce à la prévention ne lui revienne significativement.

La pente naturelle va être de dépenser plus en amplifiant les programmes publics (État et régime général), par exemple en développant les bilans de santé, pour montrer que l’on agit, sans que la pertinence des choix qui seront faits ne soit davantage évaluée qu’aujourd’hui : la santé est un bien essentiel, elle n’a pas de prix.
Mais les ressources ne sont pas illimitées, et la contrainte budgétaire globale, en présence de nombreuses autres priorités à commencer par exemple par l’éducation et l’ordre public, commence à se ressentir.
Aussi proposons-nous de procéder en préambule à une évaluation de l’existant en matière de prévention, dans l’esprit des études de l’OCDE chiffrant à plus de 20% le gaspillage dans les pays membres en matière de dépenses de santé. Les français sont conscients de ce potentiel d’amélioration
Dans cette perspective, et sur la base de cette évaluation, il s’agira alors de procéder prioritairement par redéploiement des moyens existants, pour améliorer l’efficience du socle de prévention, socle indispensable et incluant par exemple les politiques de vaccination.

Nous proposons également une alternative à la hausse naturelle de la dépense publique, permettant de tirer parti de la proximité qu’ont les assureurs complémentaires avec leurs assurés. Leur clientèle est segmentée par populations ayant des besoins relativement homogènes : activité professionnelle pour ce qui relève des contrats collectifs ou TNS, âge (étudiants ou retraités notamment), zone de résidence (grandes métropoles, zones urbaines bien équipées médicalement, ou territoires plus ou moins bien dotés, Nord ou Sud, etc), usages locaux etc.

Dans cette approche, l’État déléguerait aux assureurs complémentaires la conception et la mise en place de programmes de prévention complémentaires des programmes nationaux, avec un budget égal à une fraction de la taxe sur les contrats d’assurance santé qu’ils collectent (TSA, ou taxe de solidarité additionnelle). Cette taxe au taux de 13,27% pour les contrats responsables, représente plus de 5 milliards d’euros par an et est affectée pour près de la moitié au financement de la CSS (Complémentaire Santé Solidaire). Le solde (plus de 2,5 milliards d’euros) permettrait d’augmenter de près de 50% le financement de l’effort actuel de prévention, le rapprochant de la moyenne de l’OCDE.

Cette approche présenterait à nos yeux 5 avantages :

1. Les besoins de prévention ne sont pas les mêmes pour toutes les personnes. L’État et la CNAM seraient bien en peine de faire un ciblage fin, alors que la segmentation du marché de la complémentaire apporte un niveau de ciblage existant et souvent pertinent, notamment lorsqu’il est affinitaire.

2. Cette approche permet de cibler dès à présent la prévention sans s’appuyer sur des données relevant du secret médical, quand bien même l’existence de ces données et les moyens de l’Intelligence Artificielle donneront probablement progressivement les moyens d’une forte personnalisation.

3. En déléguant aux complémentaires la conception et la mise en œuvre de ces programmes de prévention, on ouvre un vaste espace d’innovation et de test, permettant comparaisons et évaluations.

4. Les complémentaires auront intérêt à rechercher les programmes de prévention les plus performants, pour en avoir le retour sur leurs équilibres techniques, même si ce retour n’est que partiel. Le régime général en bénéficiera également directement.

5. Ces financements de la prévention seraient protégés, au sein même du système de santé, des besoins de financement des soins, souvent ressentis comme prioritaires, en attestent par exemple le Ségur de la Santé et aujourd’hui la crise des urgences.

Ce dispositif pourrait être encadré, pour en tirer le plein potentiel. Au plan pratique :

– Ne pourraient être financés sur la collecte de TSA que des dépenses de prévention additionnelles aux dépenses actuelles des assureurs complémentaires, pour éviter des effets d’aubaine.
– Ces dépenses et leur impact feraient l’objet d’une double communication : dans les rapports annuels des assureurs, et auprès des pouvoirs publics, portant sur la santé des populations concernées et sur leur consommation médicale.
– La montée en puissance pourrait être progressive sur le quinquennat, à raison de 1 point supplémentaire de taxe affectable chaque année.

La puissance publique appelle à une vaste concertation avec les partenaires sociaux et les parties prenantes en matière de modernisation de la protection sociale, au sein du HCAAM, et bientôt du Conseil National de la Refondation. C’est le moment. Nous appelons à mettre à l’ordre du jour un étroit partenariat entre l’État, les partenaires sociaux, l’Assurance Maladie Obligatoire et les Assureurs Maladie Complémentaires, pour définir puis mettre en œuvre une ambitieuse et performante politique de prévention au plus près des besoins de la population.

La suite : Résorber les déserts médicaux ?

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

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