Résorber les déserts médicaux ?

Troisième contribution de Jérôme CABOUAT et Régis de LAROULLIÈRE autour de la santé et des chantiers qui l’entourent.
Après la place des complémentaires sur la prévention et les enjeux de financement et de recrutements, place cette semaine à la répartition des soignants sur le territoire…
La toute dernière partie, sur les éléments de langage, est à lire ici.

Résorber les déserts médicaux est l’une des deux priorités retenues par le Président de la République pour le prochain quinquennat en matière de santé, avec le développement de la prévention. Le nombre de médecins pour 100.000 habitants est en France de 338 dont 153 généralistes au 1er janvier 2018. Il varie de 167 (dont 96 généralistes) dans l’Eure à 461 (dont 186 généralistes) dans les Alpes-Maritimes, sans compter la situation particulière de Paris avec 858 (dont 248 généralistes).

Où trouver les médecins supplémentaires pour peupler plus densément les déserts médicaux, alors que :
– Nous avons globalement une densité de médecins peu différente de la moyenne de l’OCDE, et légèrement inférieure à la majorité de nos voisins européens ;
– Il faut 10 ans pour former un généraliste ;
– Les nouveaux diplômés n’ont souvent que peu d’attirance pour ces zones inégalement dotées, parfois déclinantes ou vieillissantes, et où visiter des patients plus éloignés les uns des autres qu’ailleurs prend davantage de temps ;
– Les besoins associés au vieillissement de la population vont accroître la demande de soins y compris dans les zones déjà bien pourvues en médecins, et où il est déjà souvent déjà difficile d’obtenir rapidement un rendez-vous.
Et quand bien même l’on pourrait trouver simplement ces médecins, comment financer le coût supplémentaire, alors que nous sommes déjà un des pays qui consacre la fraction la plus élevée de son PIB à la santé (11,2%) après les Etats-Unis, et que notre système de santé est déjà en déficit ?

Abordé sous l’angle de la densité médicale, il est à craindre que le problème des déserts médicaux ne trouve pas réellement de solution et soit durablement un enjeu de débats. Aussi proposons nous d’aborder le sujet sous un autre angle : celui de la santé et de l’accès aux soins, en prenant le sujet dans sa globalité, et dans le contexte actuel plutôt qu’en cherchant à revenir au système qui prévalait il y a 75 ans. Pour assurer la soutenabilité des mesures qui seront prises, nous recommandons également qu’elles s’inscrivent dans une logique de redéploiements plutôt que d’ajout de moyens nouveaux, dans un contexte où l’OCDE évalue à plus de 20% les gaspillages au sein des systèmes de santé de ses pays membres. Sans que ceci n’épuise le sujet, nous proposons ici deux grands types de mesures.

Mettre pleinement à profit les développements récents pour pallier l’absence de médecin à proximité :
– Développement prioritaire de la télémédecine dans ces zones.
– Développement de techniques moins chronophages, à l’exemple de l’utilisation de l’imagerie en dermatologie qui permet dans 80% des cas de poser un diagnostic à distance à partir de l’examen de photographies de lésions.
– Auto-prélèvements, comme le font couramment les diabétiques par exemple, puis recueil vers les laboratoires en pharmacie, voire en symétrie de ce que sont les livraisons du e-commerce.
De nombreuses autres propositions émanent dès à présent du terrain. Cela prendra un peu de temps, mais apportera des solutions de long terme.

Il s’agit ensuite et parallèlement d’engager une réflexion de fond sur les protocoles sanitaires et le système d’emploi au sein du système de santé, et notamment de :
– Repenser plus largement le point d’entrée dans le système de soins, en déléguant au plus près du terrain le premier contact. En pratique, permettre aux pharmaciens ou aux infirmiers de prescrire des actes ou des examens ou des traitements simples mais fréquents, par exemple lors de l’épidémie de grippe ou lors des allergies printanières. Si nous avons une densité médicale inférieure à la majorité de nos voisins, nous avons une densité supérieure en infirmiers
– Mobiliser en première intention et pour ce qui relève de leur discipline les professionnels paramédicaux bénéficiant d’un diplôme reconnu par l’Etat
– Et plus généralement faire appel à la capacité d’imagination, d’invention et d’innovation au plus près du terrain, sans hésiter à remettre en cause les règles habituelles. Les réflexions actuelles sur l’orientation amont (« le tri » diront les détracteurs) nous semblent en faire partie.

Il est clair que cette perspective rencontrera probablement les réticences de l’Ordre des Médecins, qui craindra que cette approche ne vienne porter atteinte au périmètre d’actes pour lesquels ses membres bénéficient d’un monopole. Mais il nous semble que la frontière de ce périmètre peut sans danger pour la population ni menace économique pour les médecins être déplacée, tout particulièrement quand son invocation conduit à dénier des soins, et en veillant simultanément à ce que les délégataires aient des bases suffisantes.

Si l’on souhaite néanmoins densifier rapidement les déserts médicaux, et parmi les nombreuses idées qui commencent à circuler, nous privilégions de :
– Modifier le cursus d’études des médecins, en y introduisant une année d’alternance sur le terrain en tant que généraliste obligatoire, avec une affectation choisie sur un ensemble de postes défini de façon à réduire l’intensité des déserts médicaux.
– Moduler progressivement les rémunérations à masse d’honoraires constante pour rendre ces zones plus attractives
– Dynamiser la voie de la VAE pour des professionnels de santé expérimentés mais n’ayant pas passé le diplôme par les voies traditionnelles.

En conclusion, il nous semble nécessaire de regarder crûment la réalité, à défaut d’être politiquement corrects : aborder le sujet des déserts médicaux par la définition d’un plan d’urgence et/ou la mise en place de moyens additionnels est, dans un contexte où il y a de nombreux autres sujets revendiquant des moyens additionnels et en l’état de nos finances publiques et de l’absence de réservoirs d’emploi qualifié, une impasse.
C’est dans le cadre d’une réflexion puis d’une modernisation de fond relatives à l’offre de soins et l’organisation de notre système de santé que ce problème pourra trouver une solution durable et soutenable.

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

Un avis, une idée, une question ? Contribuez !

visuel Contribuez a La Lettre de Assurance
  • TAGS :