Série Covid-19 :
Une dimension humaine redécouverte ?

La crise sanitaire liée à ce nouveau coronavirus révèle de multiples conséquences économiques, vues dans l’épisode précédent. Pour Régis de LAROULLIÈRE et Jérôme CABOUAT, elle pourrait aussi donner une nouvelle vision de l’humain dans nos sociétés.
Ils poursuivent la série sur les enseignements et les questionnements que la crise du Covid-19 ont mis en lumière.

Depuis le déclenchement du stade 1 de l’épidémie du Coronavirus en France, le 23 février, nous savions que le virus était entré dans notre pays. Au déclenchement du stade 2, le 29 février, nous avions commencé à suivre sa progression sur notre territoire, avec un œil sur l’Italie. Le 14 mars, le stade 3 était déclenché. Il s’agissait alors par priorité d’atténuer les conséquences de l’épidémie en permettant aux services de réanimation de prendre en charge les patients en nombre très rapidement croissant. Et le 17 mars à compter de 12 heures, la population était confinée à domicile.

Si la décision du confinement en elle-même ne fut pas une surprise, nous n’étions pas préparés. Au-delà d’une inquiétude diffuse quant à notre éventuelle contamination ou à celle de nos proches, les situations furent très diverses.
Pour certains, c’était la crise et la mobilisation. Pour d’autres en chômage partiel ou en télétravail réduit, c’est le sentiment du temps libre qui dominait. Dormir, ranger, faire le ménage, et le jardin pour ceux qui en avaient un, surfer sur internet, se téléphoner, échanger informations et histoires. Profiter de cette liberté du temps était une expérience inédite. Pour les citadins pouvant bénéficier pendant leur heure de promenade quotidienne d’une ville désertée par les automobiles, calme et moins polluée, comme pour les cols blancs en télétravail au vert, c’était l’expérience d’un monde nouveau.

Pour d’autres encore, comme les ménages en télétravail vivant avec des enfants jeunes au domicile, la situation pouvait être difficile. Progressivement, la petite musique des troubles sociétaux de la vie en confinement a commencé à devenir perceptible. Il y avait certes la privation de liberté, mais aussi bien d’autres choses plus concrètes. Tout le monde n’était pas aussi bien connecté. Les difficultés relationnelles parfois s’exacerbaient. L’inquiétude pour les enfants privés d’école et inégalement suivis montait, et l’on commençait à parler de décrochage. La fatigue, l’épuisement même, se faisaient jour.
La peur du parent ou du voisin exerçant à l’hôpital et plus susceptible de transmettre le virus se développait. La crainte des malades dont les soins étaient différés, ou des personnes âgées de ne pas être prises en charge à l’hôpital ou d’y être contaminées, est apparue. Sans compter l’inquiétude pour l’emploi ou la survie de l’activité pour les personnes qui y sont exposées, et la disparition des « petits boulots » pour ceux qui en dépendent.

La crise des Ehpad a fait éclater au grand jour un des sujets les plus déstabilisants de cette période : l’accompagnement des personnes âgées, des malades et des mourants, le deuil des morts. Dès le 11 mars, les visites en Ehpad avaient été interdites. Et le 28 mars, le ministre des solidarités et de la Santé avait demandé l’isolement des résidents en chambre individuelle.
Dorénavant, il n’était plus possible de rendre visite à ses proches isolés, pas même de les accompagner ou simplement de les revoir dans leurs derniers instants, pour autant que l’on ait été informé de la proximité de la fin. Et en cas de décès, crémation ou sépulture intervenaient en comité extrêmement restreint. Comme après la canicule de 2003 qui avait fait environ 15.000 morts en une vingtaine de jours début août, un sentiment de malaise émerge, pouvant parfois aller jusqu’à des attitudes de révolte. Ne pouvions-nous accompagner les personnes isolées, les malades et les mourants, qu’ils soient en Ehpad ou à l’hôpital, d’une présence humaine, habillée d’un équipement protecteur ?

En l’absence de grande voix pour plaider ces causes, elles ont été moins perçues, mais c’est sur elles que portent à présent beaucoup de conversations. Elles ne sont pourtant pas inconnues. Dès les premiers jours de la crise, un dirigeant syndicaliste attirait notre attention sur cette dimension de confrontation à la mort, celle des autres, la potentialité de la sienne, questionnant notre propre relation à la mort en temps normal.
Le 11 avril, le Président allemand éprouvait le besoin de rappeler qu’une épidémie est avant tout un test d’humanité. Nous redécouvrions que dans une épidémie, l’accompagnement de nos concitoyens exposés à la maladie et parfois isolés, des malades et des mourants, puis des dépouilles, n’est pas qu’un problème médical et technique, mais aussi et peut-être surtout un enjeu humain.

Rudolf VIRCHOW, médecin et homme politique allemand cité dès le 25 mars par François ANSERMET dans Lacan Quotidien, observait au XIXème siècle : « une épidémie est un phénomène social qui comporte quelques aspects médicaux ». Ne convient-il pas d’intégrer cette dimension sociétale et humaine d’une épidémie dès l’origine, tout autant que les dimensions sanitaire et économico-sociale ?

À suivre …

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

Toute la série est à retrouver dans la page sommaire

Réflexion n°2 : Une épidémie, un sujet plus sanitaire que médical ?

Réflexion n°3 : Un impact économique et social inouï ?

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