Série Covid-19 :
Épilogue, quelles mutations à moyen terme ?

Après 10 épisodes explorant sous divers angles la crise sanitaire causée par le coronavirus, Régis de LAROULLIÈRE et Jérôme CABOUAT concluent leur série. Alors que le virus est toujours d’actualité, que l’équilibre économique est durablement fragilisé, qu’une rentrée très incertaine se profile, l’heure est à un premier bilan…

Dans les précédentes chroniques, nous avons proposé des enseignements et des questionnements issus de la crise du Coronavirus, dès à présent perceptibles. Cet épilogue se place dans une perspective plus prospective, dans les trois dimensions de la crise : santé publique ; économique et sociale ; humaine et sociétale.

Six mois après l’apparition du virus, nous n’avons pas encore de traitement efficace reconnu ni de vaccin, et savons que cette situation peut durer. Dans notre pays, comme dans bien d’autres, la première vague est passée. Fortement atténuée par le confinement, elle n’a pas conduit à l’immunité de groupe et l’enjeu est maintenant d’éviter ou de maîtriser un rebond. Les mesures de prévention prennent clairement toute leur importance.

Nous en soulignons ici trois conséquences. D’abord, une prise de conscience de l’enjeu de la prévention. Elle ne représente que 2% des dépenses de santé publique en France, contre 3,1% en moyenne dans l’UE. Ensuite, l’importance des équipements.
Observons sur ce point qu’un virus plus létal ou une attaque NBC (nucléaire, biologique ou chimique) nécessiteraient, en plus des protections pour le public, des équipements nettement plus abondants et efficaces pour protéger les personnes au contact. Enfin et plus largement, la constatation de facteurs de comorbidité, et des limites du tout médical et hospitalier, a mis en valeur l’intérêt pour chacun d’une hygiène de vie plus responsable, qu’elle concerne par exemple la pratique du sport ou l’alimentation, le lavage des mains ou les gestes barrières.

Les tensions sociales sont croissantes. Pour ce qui concerne notre pays, elles conduisent par exemple aux revalorisations des rémunérations des personnels hospitaliers, venant s’ajouter à celles promises aux enseignants dans le cadre du projet de réforme des retraites. Elles ont d’inéluctables effets d’entrainement sur d’autres catégories, augmentant la dépense publique. Dans le même temps, le chômage dans le secteur productif, déjà très élevé à l’entrée dans la crise, menace de s’envoler. Malgré l’ampleur des aides publiques, les perspectives de faillites et de cessation d’activité d’indépendants et de petites entreprises, voire de larges pans de secteurs comme le tourisme, s’intensifient rapidement. Et les retraités n’imaginent pas une baisse de leurs pensions, malgré les déficits de leurs régimes de retraite qui s’annoncent.

Les conséquences économiques et sociales sont incertaines : le secteur productif pourra-t-il dans ces conditions porter par ses contributions les trois fonctions publiques (Etat, collectivités locales et secteur hospitalier), les scolaires, étudiants et retraités, et la protection sociale ? L’ajustement par l’accroissement de la dette touchera-t-il sa limite ? L’euro est-il en risque ? Que va devenir la cohésion sociale face à une telle amplification de la fragmentation de la société ? Avec quelles conséquences politiques ?

Les risques internationaux ne sont pas moindres. On a déjà constaté après la crise de 2008 que les tensions internationales s’étaient accrues, notamment entre la Chine et les Etats-Unis, et que les exportations d’armement avaient augmenté. Dès à présent la crise du Coronavirus renforce le mouvement. La Chine met à profit la crise pour pousser ses pions en mer de Chine et accroître son emprise sur Hong-Kong. Les Etats-Unis lui attribuent l’origine de la cris et continuent de se replier sur eux-mêmes, se retirant dernièrement de l’OMS. La mondialisation fait place à la fragmentation, chacun parle de relocalisation d’industries et de services essentiels. Mais une telle évolution, coûteuse en termes de pouvoir d’achat pour les pays qui relocalisent, et génératrice de difficultés économiques dans ceux qui voient leurs exportations disparaître, serait source de nouvelles tensions. Irait-on jusqu’à des conflits armés ? Si le rapprochement franco-allemand sur le plan de relance européen est rassurant, la planète semble plus instable.

Mais le pire n’est pas certain. Au plan économique, les mutations en cours bénéficient directement à certains secteurs d’activité, par exemple les entreprises de la Tech. L’Europe et la France ont des cartes à jouer dans ce secteur comme cela a été fait en son temps pour l’aéronautique et l’espace. La prise de conscience des enjeux du réchauffement climatique a continué de progresser. Elle ouvre un espace considérable au développement d’activités permettant de réduire la production de CO2 et de tenir notre planète plus propre. Reconstruire notre monde est peut-être une mutation analogue à ce qu’a été la reconstruction au sortir de la deuxième guerre mondiale. Chacun ayant une compréhension plus claire des bénéfices qu’il peut en retirer, l’heure est-elle arrivée de comportements individuels plus éco-responsables et d’un plan Marshall vert pour sauver la planète et rebâtir la solidarité internationale ?

Pour ce qui concerne la dimension humaine et sociétale, la perception de ce que nous sommes mortels et des limites de l’État providence pour nous protéger, pour s’occuper des malades, des anciens, mais aussi des jeunes privés d’école, ou de ceux qui vont se présenter sur le marché du travail, est plus vive. Limites financières, quoi qu’il (nous) en coûte, limites organisationnelles, malgré la remarquable montée en puissance des services hospitaliers de réanimation, limites réglementaires avec les restrictions de liberté imposées. Et peut-être surtout limites en matière de lien humain, fortement distendu par les mesures prises, et qui s’est dans une certaine mesure ré-inventé au niveau local et sur le terrain.

Cette perception est-elle de nature à provoquer une évolution des mentalités et des comportements ? Sera-ce sous la forme d’une redécouverte de la responsabilité individuelle et des solidarités de proximité ? Sera-ce par rapport à soi, aux autres et à la planète ? Le modèle de société qui a prévalu au cours des cinquante dernières années apparaît de moins en moins soutenable. Ce sujet, peu audible jusqu’à récemment, commence à l’être plus largement. Sommes-nous à l’aube de transformations sociétales considérables, qui affecteraient jusqu’à notre pratique de la démocratie ?

FIN … de la série

Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation

Toute la série est à retrouver dans la page sommaire

Réflexion n°9 : Et nous, individus et citoyens ?

Réflexion n°10 : Et nous, dirigeants en entreprise d’assurance ?

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