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La disruption indigeste au menu de la FFA

Cette chronique a été publiée en novembre 2017.

« L’assurance dans un monde en disruption », tel a été le thème fortement médiatisé de la 9ème conférence internationale de la FFA. Avant le plat de résistance du jour, la rupture à toutes les sauces baignait au menu du dîner éruptif de VIP organisé la veille au soir. Paris, baptisée capitale européenne de l’assurance pour l’occasion, dixit le président de la FFA, toute la profession était à la messe. C’était assurément brexcitant, m’a confié un des apôtres anglophobes de la scène, invité à festoyer rondement…
Les opportunités de business engendrées par la disruption ou perturbation, en français, ont été largement évoquées le lendemain, mais aussi ses travers, règlementaires, technologiques et politiques. Et ce par un parterre de sommités de la finance européenne et du contrôle sectoriel… dont certains ne ratent aucun podium pour les dénoncer (sic)…
Après moult interventions au cœur du brûlant sujet, je n’ai pu m’empêcher de m’évader de cette brillante enceinte de sachants dont le QI assurantiel n’est plus à tester… Un multiple, sans doute, de celui d’un étudiant en BTS d’assurance ou de celui du cotisant lambda qui coche toutes les cases de son e-constat amiable automobile pour ne rien oublier…

Première respiration empreinte de nostalgie assurantielle : il est loin le (bon) temps des années 80-90 où il suffisait d’un simple aller et retour dans la capitale, en Corail, pour qu’un preneur de risque obtienne l’aval de son commissaire-contrôleur de la Direction des assurances, afin d’opérer en toute tranquillité à sa descente du train. Bienveillants, mais incontournables, les inspecteurs de la Brigade d’excellence ne s’en laissaient pas compter pour autant, avant d’octroyer le permis d’assurer et après avoir compulsé la boîte postale 5000 qui recensait les courriers dénonçant les dérives et les failles contractuelles des acteurs de la profession.
La relation assurantielle entre faiseurs et contrôleurs était assise sur une confiance mutuelle de marché et attentive aux ragots circulant des deux côtés de la rue de Châteaudun. À l’époque, les murs des restaurants huppés des alentours de l’Opéra et les cloisons amovibles des cantines du quartier des assurances cachaient des oreilles acérées et On en parlait !
C’était de l’assurant-rassurant… et l’inévitable marge de solvabilité, assise sur un pourcentage codifié des primes ou des sinistres, suffisante aux cent yeux des autorités pour garantir valablement les engagements des assureurs envers leurs assurés et les bénéficiaires des contrats. Aujourd’hui, mieux vaut se résoudre à squatter en commando dans le quartier Saint-Lazare pour lever le sésame, sachant que le silence de l’ACPR équivaut à un refus d’agrément après un semestre de carence et de paperasserie… On ne se parle plus ?
Un quart de siècle plus tard, les piliers de la « maison banque-assurance » ont été bétonnés à l’instar du littoral côtier et les règlements et pensums de toutes sortes se sont multipliés au triple galop, UE oblige… Une bonne raison pour se mettre prestissimo en marche… de simplification, me direz-vous… Sans doute, un vœu copieux !

Deuxième parenthèse empreinte de contradiction organique : je me suis demandé si les régulateurs et les superviseurs en chambre, exhortant à davantage de règlements et de sanctions, n’ont de cesse que de créer de la complexité sécuritaire pour mieux la pourfendre ensuite… et fustiger l’impéritie des gouvernements successifs à faire appliquer les articles R. et suivants dans les délais impartis, sous peine de sanctions…
D’autant plus, à les entendre, que tout allant tellement vite, une réglementation à peine ébauchée avec labeur, devient caduque dès sa mise en œuvre… Sisyphe, le fils d’Eole savait déjà ce que voulait dire brasser du vent…
Troisième éclaircie empreinte de bon sens humain : veut-on accabler le consommateur innocent de tous les maux ? Le baudet serait à la fois fraudeur, volage, zappeur, blanchisseur, mal informé, crédule. L’entoilé, canalisé, ennuagé, connecté et bientôt, blockchaîné… aurait lui-même armé le bâton du régulateur pour se faire battre et e-flageller. Comme si les instances européennes, naturellement directives, et les lobbys de la finance n’étaient que les innocents spectateurs de ses affres assurantielles ! Sont-ce donc les sinistrés qui ajoutent un nouveau chapitre perturbateur aux codes des assurances à chaque éruption menaçante ou après une fausse alerte systémique ?

In fine, invoquer, à tous crins, la lutte acharnée contre la sous-régulation et en même temps, la justification des overdoses de sur-régulation infligées à notre corps d’assuré défendant, ne risque-t-il pas de faire penser au cotisant que les instances professionnelles sont peu proactives face au déluge législatif et au torrent d’innovations technologiques qui fleurissent au-dessus de nos têtes ? Sans doute, voilà une question qui risque de fâcher, mais qui pourrait figurer au menu du dîner de la prochaine messe de l’assurance ! Soirée à laquelle, le gourmet disruptif qui sommeille en moi ne pense pas être le bienvenu pour se taper la cloche…

Lucas Fortuit