Bonus / Chronique :
Pour votre gouverne !

En juin, il était question de distribution et de l’avenir des agents généraux pour Lucas FORTUIT. Pour ce mois de juillet, il s’intéresse à la gouvernance, qui doit faire avec la réglementation…

La conduite vertueuse des entreprises a toujours posé question depuis la révolution industrielle. A l’instar d’une loi du 9 avril 1898 qui autorise, sur simple déclaration, la création de sociétés libres permettant à la mutualité la possibilité d’organiser des unions et de créer des caisses autonomes. Depuis, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse de chapitrer le guide du marin, partant du principe qu’il faut un capitaine irréprochable pour que le « bateau assurance » aille sano et lontano… Le secteur, droit dans ses codes, fourmille ainsi de règles contraignantes en matière de gouvernance des preneurs de risques, concept sans doute hérité de l’organisation de la Banque de France lorsqu’elle a chapoté l’ex-Direction des assurances (supprimée en février 1991). Dans le contexte actuel de réforme du statut de l’entreprise, les gouverneurs balayeront-ils devant leur porte, à cette occasion, pour tenter d’éradiquer certaines pratiques sociétales qui ont la vie dure, tant la prudence eurocratique a été imposée à tous les étages de décision ?

Tout d’abord, ne dirige plus une société d’assurance qui veut comme d’antan. Cette dernière doit notifier, au préalable, à l’autorité de contrôle, les informations relatives à toutes les personnes qui dirigent effectivement l’entreprise ou qui occupent des fonctions clés en son sein. Tout est dans le « effectivement » m’a confié une juriste avertie. A croire que le régulateur soupçonnerait certaines entités de porter à leur tête des hommes ou des femmes de paille, voire des escrocs ou des blanchisseurs !
Mais, si l’article 322-2 du Code des assurances en dit long pour exclure les condamnés de moins de dix ans, la règlementation européenne n’impose rien sur la composition des comités de direction, ni sur le nombre de personnes appelées à y siéger. Du moins pas encore !

En deuxième lieu, il faudra briser les plafonds de verre des étages féminins pour se conformer à la loi Copé-Zimmermann, votée en 2011. A ce jour, l’ACPR estime à 15 % le taux de féminisation des instances dirigeantes des compagnies françaises. Il faudra attendre sans doute 2024 pour le voir franchir la barre des 25%, date de la fin des dérogations accordées en la matière par les Assemblées nationales, composées majoritairement de parlementaires masculins, rappelons-le. Du moins aujourd’hui !
Nul doute alors que si les femmes deviennent majoritaires dans les conseils, si tel est leur vœu en s’épilant le matin, les rémunérations servies seront indépendantes du sexe et les harceleurs mis définitivement au pilori ! Du moins, elles peuvent l’espérer.

En troisième lieu, comme évoqué en préambule, on ne dirige plus une entreprise au jour le jour. On la gouverne, dorénavant, dans la durée, comme au temps de Jules César ou de Louis XIV ! L’inversion du cycle d’exploitation assurantiel impliquant nécessairement de prévoir le montant de la prime, comme le constatait au 19ème siècle Emile de Girardin, l’un des pionniers de la presse low cost, financée par la publicité (et initiateur avant l’heure de la presse gratuite). Notons que la profession n’a jamais été avare en dirigeants au caractère bien trempé et en visionnaires éclairés, à qui l’on n’a jamais dicté de Paris ou de Bruxelles, la manière de mener leur embarcation à bon port, ni fait l’article sur la manière de prendre et de gérer des risques et, cela sans IT, sans datas, ni cross-selling et parfois sans mettre la main au portefeuille… Le manuel de la vertueuse gouvernance européenne a-t-il mis au pilori le leadership assurantiel français ?
Force est de constater, aujourd’hui, que le vivier de leaders risque de s’amenuiser ou de migrer quand plusieurs majors de la profession réduisent de moitié, à marche forcée, le nombre de membres de leur comex, tout en faisant une place de choix à l’innovante relation e-client mais, sans lui !

Face à cette cure d’amaigrissement directoriale, est-on plus efficace à 10 ou 12 gouverneurs à la barre du vaisseau qu’à 20 ou 25 dirigeants, questionneront les numérologues en mal de seuil ?
Il est couramment admis qu’il faut éviter de s’attabler à plus de six ou sept pour ne pas jouer des coudes avec ses collègues, d’après les experts en moins-de-réunionite. Au-delà de ce quota sélectif, les mauvaises augures estiment que si l’ordre du jour est trop large, les participants finissent par s’ennuyer ; chacun attendant le sujet qui l’intéresse puis, une fois survolé, espère que la réunion s’arrête, ignorant qu’on ne quitte pas la table présidentielle avant le dessert… Gageons que la signature d’une charte d’engagement par les administrateurs prévue dans le cadre de solvabilité II va remettre les chronos des convives indisciplinés à l’heure. Observons que rien ne dit qu’une telle signature ne soit exigée un jour de chaque employé ! Entrera-t-on alors en assurance comme en religion (ou dans la police) avec la bénédiction de l’autorité de tutelle ? Dans ce cas, ce n’est plus le libre contrat entre les parties qui prévaudra mais encore le Code…

Mais, ne nous y trompons pas, réduire drastiquement l’exécutif d’une société parachève souvent une restructuration interne menée parallèlement au forceps et qui ne veut pas dire son nom. Le symbole se doit d’être démonstratif pour réduire les nombreux niveaux hiérarchiques subalternes des conventions collectives de la profession, ratio combiné (ou de la combine managériale, parfois) oblige ! Notamment, quand c’est le même dirigeant qui occupe le trône.

Pour conclure, néanmoins, positivement avec assurance, faut-il supprimer son Comex ou son Codir à l’instar d’une doyenne de la profession qui a abandonné sa structure pyramidale pour créer un espace horizontal de décisions collectives (sic), mode start up, sans ordre du jour prédéfini ?
Dans ce cas de figure, si cela en est encore une, un plain-pied, défi spatio-temporel contre la verticalité des diktats des petits chefs et des serruriers, la question de savoir s’il existe un quota de décideurs à ne pas dépasser pour davantage d’efficacité opérationnelle ne se pose plus, me direz-vous.
Réaliste ou non, voilà un scénario disruptant qui va à l’encontre des directives managériales de Solvabilité II que le gouverneur-régulateur, bafoué et mis au défi par une telle fronde, ne manquera pas de fustiger lors de son prochain comex recomposé !

Dans toutes ces attentes, veuillez agréer, messieurs les gouverneurs, l’assurance de mes plus hautes considérations.

Lucas FORTUIT